édifier un monument aux morts
Saint-Christope-en-Jajolet (Orne),
construction du monument aux morts
les étapes de la réalisation d'un
monument aux morts
L'édification d'un monument aux morts réunit plusieurs protagonistes : civiques, politiques, religieux, associatifs, concepteurs, constructeurs.
Elle se déroule en plusieurs étapes. Le processus n'est pas toujours linéaire ni incontestable. Des différends surgissent sur le choix monumental, sur les symboles à retenir ou non, sur le coût de l'édifice, entre le conseil général et la commune... Des projets sont retenus puis abandonnés au profit d'autres.
1) la décision
Sollicitée par les milieux anciens combattants et mutilés, ou de sa propre initiative, l'instance qui prend la décision d'ériger un monument est le conseil municipal.
Aucune résolution législative ou gouvernementale ne le prescrivait. Les lois d'octobre 1919 envisageaient le commémoration et la glorification des héros de la guerre, sans mentionner de monument :
- la loi du 1er octobre 1919 (Journal Officiel du 3 octobre) imposait à chaque commune la mise au point d'un registre, fourni par l'État, inscrivant le nom "des militaires des armées de terre et de mer de la commune ayant pris part aux opérations de la campagne de 1914-1918". Ce document devait être nommé "Mémorial de la Grande Guerre 1914-1918" et déposé aux archives de la commune.
Cette opération ne fut quasiment pas menée. L'administration municipale s'occupait surtout des victimes, recevant les avis de décès provenant des autorités militaires ; ou du "pécule des militaires libérés ayant des enfants de moins de 16 ans légalement à leur charge lors de leur libération".
Saint-Chamond (Loire), fiche de renseignement pour le pécule
aux militaires libérés (source : archives municipales, 5 Hsc 19)
- la loi du 25 octobre 1919 annonçait que les noms des combattants morts pour la France seraient "inscrits sur des registres déposés au Panthéon", que chaque commune recevrait un livre d'or contenant ces noms. Ce livre d'or devrait être "déposé dans une des salles de la commune et tenu à la disposition des habitants de la commune".
L'article 5 de cette loi indiquait : "Des subventions seront accordées par l'État aux communes, en proportion de l'effort et des sacrifices qu'elles feront en vue de glorifier les héros morts pour la patrie", mais sans plus de précision.
Ainsi, la résolution d'édifier un monument fut bien un acte spontané d'origine locale.
La Chapelle-sous-Dun (Saône-et-Loire), délibération du conseil municipal
sur l'érection d'un monument commémoratif aux soldats morts pour la France, 18 juin 1919
(source)
C'est le conseil municipal qui passe contrat avec un sculpteur ou choisit un modèle de série présent sur le catalogue de grosses entreprises telles les Marbreries générales Gourdon à Paris ou les Fonderies du Val d'Osne. Lorsque des projets sont en concurrence, le choix est fréquemment le fait d'un jury constitué ad hoc.
C'est le conseil municipal qui traite, souvent de gré à gré, avec les entrepreneurs locaux en discutant les plans et les devis.
2) la souscription
Trois sources principales de financement existent : le budget municipal, la subvention du département et la souscription. Il existe parfois aussi des dons.
Parallèlement à l'action municipale, se met en place un "Comité pour le monument aux morts" pour recueillir plus largement les fonds nécessaires.
Pornichet (Loire-Atlantique), moyens de financement du
monument aux morts, 1921 (source)
Beausoleil (Alpes-Maritimes), projet de monument aux morts
à élever par souscription, 14 juillet 1915
Beausoleil, monument aux morts, 2010 (source)
La Chapelle-sous-Dun (Saône-et-Loire), délibération
du conseil municipal du 18 mai 1921 (source)
On trouve, dans les archives, des listes de souscripteurs.
Saint-Chamond (Loire), carnet des souscriptions particulières
pour le monument aux morts, 1921 (source : archives municipales, 1 Msc 26)
Saint-Chamond (Loire), carnet des souscriptions particulières
pour le monument aux morts, 1921 (source : archives municipales, 1 Msc 26)
versement des Aciéries de la Marine : 30 000 francs
Saint-Chamond (Loire), carnet des souscriptions particulières
pour le monument aux morts, 1921 (source : archives municipales, 1 Msc 26)
versement d'Augustin Neyrand : 1000 francs
3) l'élaboration
a) dessin d'architecte
Dijon (Côte d'Or), projet de monument
Albi (Tarn), projet de monument
Lille (Nord), projet de monument aux morts, maquette par
l'architecte Allemand et le sculpteur Éd. Boutry
Agen (Lot-et-Garonne), maquette du monument aux morts
élevé à la mémoire des anciens élèves du lycée
Saint-Aubin (Côte d'Or), projet du monument aux morts
maquette du monument aux morts de l'Armée française du Rhin,
cimetière militaire du Marxberg à Sarrebourg ;
projet de la Fédération des anciens de la Rhénanie et de la Ruhr
b) maquette de sculpteur
Amiens (Somme), maquette du monument aux morts
par le sculpteur Albert Roze (1861-1952)
Amiens (Somme), monument aux morts,
Albert Roze, sculpteur
Amiens (Somme), monument aux morts
La mention "del et sculp" qui suit le nom d'Albert Roze est l'abréviation des mots latins : delineavit et sculpsit. Ils signifient : "a dessiné et a sculpté".
Auffay (Seine-Maritime), mauqette du monument aux morts
par l'architecte Lelong et le statuaire Guilloux
c) le choix du jury
Saint-Chamond (Loire), procès-verbal de la réunion du Jury
chargé de l'examen des projets de monument, 14 janvier 1922
(source : archives municipales)
d) la mise au point de la liste des noms à inscrire sur le monument
Saint-Chamond (Loire), affiche appelant les familles
à venir rectifier ou compléter les renseignements relatifs
aux noms des soldats à inscrire sur le monument aux morts,
26 mars 1923 (source : archives municipales)
4) la fabrication
Une statue est coulée en fonte de fer bronzé ou en bronze ciselé patiné, beaucoup plus coûteuse.
On appelle sculpteur celui qui taille la pierre pour créer une forme unique originale. On appelle statuaire celui qui réalise un modèle en plâtre (le plus souvent) qui sera ensuite coulé en bronze ou en fonte.
La conception des monuments aux morts relève en grande partie de l'art de série. L'une des entreprises les plus connues était les Marbreries Générales Gourdon dont le catalogue a fait le tour de France.
placard publicitaire des Marbreries Gourdon dans la presse, 1925
Le monument aux morts est un cénotaphe (du grec kenos, vide ; et taphos, tombeau) : il ne contient pas de corps et est dédié à la mémoire de ceux qu'il honore.
(à suivre)
5) la construction
Le monument est généralement construit sur place. Mais il arrive que la statue provienne d'ailleurs. À Rostrenen (Côtes d'Armor), la sculpture a été réalisée à Paris puis transportée par chemin de fer en janvier 1921 (voir Rostrenen).
Quand la statue choisie est celle d'une fabrication en série par la Fonderie du Val d'Osne, par exemple, elle doit cheminer par voie ferrée.
Escoublac-la-Baule (Loire-Atlantique), devis d'un entrepreneur en bâtiment,
19 août 1919 (source)
Ce sont les entrepreneurs locaux qui ont en charge la construction de l'édifice. Il s'agit de creuser les fondations, d'aménager un terre-plein, d'élever la base (socle, piedestal, marches...) qui portera le monument proprement dit (stèle, statue...), d'entourer le tout d'une grille et d'un portail.
Alençon (Orne), construction du monument aux morts
Saint-Christope-en-Jajolet (Orne), construction
du monument aux morts
Charentenay (Yonne), monument aux morts en construction
Combles (Somme), monument aux morts en construction
lieu inconnu, ouvriers sur les échaffaudages de construction
du monument aux morts
6) l'inauguration
a) cérémonies précédant l'inauguration
Les municipalités n'ont pas attendu la construction du monument aux morts pour honorer les soldats disparus à la guerre. Des célébrations furent organisées, parfois durant la guerre elle-même comme à Étrepilly (Seine-et-Marne) le 10 septembre 1916 ; ou après la fin des hostilités tant que le monument n'était pas érigé.
- pendant la guerre
Étrepilly (Seine-et-Marne), le 10 septembre 1916, cérémonie à la mémoire
des soldats tombés lors de la bataille de la Marne du 5 au 10 septembre 1914 (source)
- après la guerre
Saint-Chamond (Loire), manifestation du 2 novembre 1919
(alors que le monument ne fut construit et inauguré qu'en 1923)
b) l'inauguration officielle
La manifestation publique proprement dite est, dans de nombreux cas, le second moment de la cérémonie. Celle-ci commence par la bénédiction du monument, à l'église ou dehors, par le prêtre ou l'évêque dans les grandes villes.
Elliant (Finistère), programme des fêtes d'inauguration du monument aux morts,
31 juillet et 1er août 1921 (source)